Homélie du Père Philippe Goupille aux funérailles de Pierre Dinan

Chers Amis,

 

Nous nous retrouvons ce matin dans cette église de Lourdes pour entourer la famille de Pierre qui nous a quittés la semaine dernière. Nous sommes venus exprimer notre solidarité envers Monique, envers ses enfants et petits-enfants. Même si dans notre foi chrétienne nous savons que la mort n’est qu’un passage vers une vie en plénitude, nous ne serions pas humains si nous n’éprouvions pas du chagrin et de la tristesse. Vous êtes tous venus justement entourer la famille et cette solidarité nous permet à tous de vivre ce moment dans la paix et l’espérance.

 

Je ne peux m’empêcher de faire un clin d’œil au Cardinal Jean Margéot qui fut le premier prêtre diocésain nommé curé à Notre Dame de Lourdes dans les années 50, et c’est surtout grâce à son accompagnement spirituel que Pierre et Monique sont devenus pour ainsi dire un couple phare de notre diocèse catholique. Le dynamisme de cette paroisse de Lourdes dans les années 50 a permis à plusieurs d’entre nous de découvrir, chacun à sa manière, notre vocation de chrétien.

 

2. Un vrai chrétien

 

La vie de Pierre Dinan nous interpelle aujourd’hui chacun d’entre nous sur la manière dont nous vivons notre vie chrétienne. Chacun et chacune d’entre nous peut faire mémoire de ses années d’enfance et d’adolescence où nous avons reçu le don de la foi de nos familles. Dans le cas de Pierre comme chez beaucoup d’autres élèves du Collège du St Esprit, la foi que nous avons reçue de notre famille le jour de notre baptême a eu l’occasion de se développer, se structurer et se nourrir de ces classes de catéchèse que nous avions au collège avec, parmi d’autres, le père Nicholas et le père Matthew Farrelly.

 

C’est au moment où nous quittons notre famille et l’ambiance protectrice du collège catholique pour aller faire des études à l’étranger que notre foi est mise à l’épreuve. Lauréat de la Bourse d’Angleterre, Pierre avait choisi la London School of Economics pour continuer ses études en économie et finances. Nous savons que malgré sa grande réputation, cette prestigieuse Université Londonienne n’enseigne pas forcément les principes économiques qui sont en parfaite harmonie avec les valeurs de l’évangile. Je souligne cela parce que pendant son séjour à Londres Pierre n’a jamais remis en doute sa foi catholique.

 

D’ailleurs à son retour au pays Pierre occupa différentes fonctions importantes dans la vie économique du pays, mais il avait bien compris qu’être chrétien ce n’est pas se réfugier dans un cocon de sécurité en dehors de la vie sociale. L’incarnation de Jésus nous invite à nous mêler comme lui à la vie humaine, à partager les joies et espérances, les soucis et les angoisses du monde dans lequel nous vivons. Dans le cas de Pierre c’était un monde où notre pays nouvellement indépendant cherchait aussi son chemin sur le plan économique. Le témoignage que Pierre nous laisse c’est celui d’un homme qui, tout en ayant maitrisé la technicité de sa profession, avait le souci de servir son pays et d’apporter un éclairage chrétien sur les décisions des secteurs privés et publics. Il me semble que c’est là vraiment que notre foi chrétienne est mise à l’épreuve. L’évangile nous dit que nous devons être « levain dans la pâte ». Le levain qui est enfoui dans la pâte, qui permet à la pâte de lever et de porter du fruit. Donc nous devons être pleinement enfouis dans la pâte humaine sans pour autant perdre nos valeurs et notre identité profonde. Merci à Pierre de nous avoir montré qu’il est possible de relever ce défi ! Il est donc un modèle pour les jeunes d’aujourd’hui qui sont appelés à des responsabilités nationales.

 

Il y a aussi une autre parabole de l’évangile qui a marqué la vie de Pierre et qui nous interpelle. C’est cette parabole du bon grain et de l’ivraie. Jésus nous demande de respecter la croissance parallèle du bon grain et de l’ivraie car nous ne sommes pas les moissonneurs, nous sommes les semeurs. Ce que je voudrais saluer dans la vie de Pierre c’est justement ce grand respect qu’il avait pour ses collègues qui ne partageaient pas forcément sa vision chrétienne de l’économie. Jamais nous n’avons noté chez lui l’impatience ou même une certaine violence verbale vis-à-vis de ceux qui n’étaient pas sur la même longueur d’ondes.

 

Mais accepter avec patience la croissance du bon grain et de l’ivraie, ce n’est pas pour autant nous laver les mains et chercher la tranquillité sans nous engager concrètement pour un changement. Nous savons que pour changer la société la dimension de l’engagement politique est incontournable. C’est ainsi que Pierre a compris qu’il devait se lancer en politique, même si malheureusement il n’a pas réussi à être élu. Il a accepté le verdict des urnes sans frustration, sans amertume.

 

C’est alors je pense qu’il a cherché à faire passer le message évangélique dans la société mauricienne par d’autres moyens. Il le faisait régulièrement en écrivant dans les journaux, en acceptant des interviews, il était toujours disponible pour la radio et la télévision. Il faisait connaitre son point de vue avec beaucoup de délicatesse sans jamais condamner, sans jamais diaboliser l’adversaire. Merci Pierre de nous avoir montré la véritable manière de dialoguer et de respecter les autres sans pour autant renoncer à ses convictions. C’est dans cet esprit qu’il a animé la commission Diocésaine Justice et Paix.

 

Jésus nous invite dans l’évangile à ne pas nous laisser étouffer par le désir de l’argent et du pouvoir. Là encore Pierre nous interpelle par son détachement par rapport à la puissance de l’avoir. Pour lui l’économie et le profit étaient toujours au service de la personne humaine et non pas une idole devant laquelle se prosterner.

 

Je voudrais pour terminer souligner l’importance de rester en communion avec notre Eglise catholique, même si parfois elle nous déçoit ou même nous scandalise. Il y avait comme une sérénité dans l’attitude de Pierre par rapport aux erreurs ou fautes de jugement de notre Eglise catholique. J’ai été touché par cette sérénité à l’occasion d’un pèlerinage que nous avions fait ensemble en Pologne sur les pas du Pape Jean-Paul II. Nous avions beaucoup pu échanger sur la pluralité de la manière dont différents papes pouvaient conduire l’Eglise catholique à partir de leurs expériences personnelles, de leur culture, et des influences subies dans leur pays d’origine. Nous avions bien compris que la manière polonaise de « faire église » n’était pas forcément celle d’autres pays ou d’autres cultures. Mais il fallait toujours chercher ce qu’il y a de positif dans la culture de l’autre, même si elle est différente de la mienne.

 

C’est sans doute cette sérénité vis-à-vis des opinions différentes et des cultures différentes qui a permis à Pierre de collaborer avec des mauriciens de toutes religions et de toutes communautés comme en témoignent les nombreux articles qui ont été publiés dans la presse à l’annonce de son départ. Notre pays a besoin de citoyens qui, comme Pierre Dinan, sont fidèles à leurs convictions sans jamais se laisser aller à la destruction de l’autre ou à la violence verbale. La foi chrétienne reçue de ses parents et nourrie au Collège St Esprit ne s’est jamais affadie, n’a jamais perdu de sa saveur, grâce aussi à sa rencontre avec Monique et grâce au soutien qu’il a pu trouver dans un foyer stable, heureux, plein de tendresse et d’affection, où le respect de l’autre était une option fondamentale. Je lisais dans une interview de Monique que Pierre a beaucoup aidé son épouse à s’engager socialement et aussi à écrire et à partager ses recherches dans le domaine de l’Histoire. Le récent livre publié par elle sur la paroisse de Lourdes a été le dernier exemple de cette collaboration féconde pour leur vie de couple comme pour la société mauricienne.

 

Conclusion

 

Nous sommes venus dans cette église de Lourdes ce matin pour remercier Dieu de nous avoir donné un modèle à suivre comme Pierre Dinan. Nous sommes venus aussi pour nous rappeler que tout ce qu’il y a de beau, de vrai, de grand dans notre histoire humaine ne s’arrête pas avec la mort. L’évangile que nous venons d’entendre nous a encore rappelé que nous devons faire confiance à celui qui est le chemin, la vérité et la vie, et qui nous tient par la main quand nous quittons cette terre pour entrer dans l’éternité. C’est là l’espérance fondamentale que nous sommes appelés à faire grandir dans nos cœurs par la prière, le service des autres et le don de notre vie pour que grandisse et s’épanouisse celles de nos frères et sœurs.

 

Père Philippe Goupille

2 juillet 2024

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