Dans le cadre des célébrations du bicentenaire de la naissance de la fondatrice de la Congrégation Bon et Perpétuel Secours (BPS), nous vous invitons à découvrir le regard d’une jeune laïque sur la vie de Mère Augustine et son œuvre caritative laissée aux Mauriciens. Laura Herminette, auteur d’un mémoire universitaire intitulé « The ‘‘Untold’’ Contribution and Tribulations of Mère Augustine and the Sœurs de Bon Secours in Post-Emancipation Mauritius 1850 – 1870 », partage dans l’interview qui suit les qualités qui l’ont fascinée chez cette figure féminine de l’Église à Maurice. Avec perspicacité et tact, Laura Herminette met également en lumière et questionne certaines pratiques de l’époque qui ont constitué des épreuves pour Mère Augustine dans sa mission.
Tout d’abord, comment allez-vous depuis l’obtention de votre Master en 2017, où vous aviez présenté un travail académique sur l’œuvre de Mère Augustine, la fondatrice du BPS ?
Peu de temps après l’obtention de mon diplôme, je suis partie en France pour suivre une formation à la vie communautaire au sein de la Communauté du Chemin Neuf, qui a duré quatre ans. Cette expérience a été pour moi une immersion enrichissante dans la vie communautaire et a profondément nourri ma foi chrétienne. Je suis rentrée à Maurice en 2021 et depuis le début de cette année, je travaille en tant que Coordinatrice des Archives pour la Congrégation du BPS.
Votre travail universitaire a-t-il permis de mieux faire connaître la fondatrice du BPS, pionnière dans le domaine caritatif à Maurice ?
Il est difficile d’évaluer l’impact réel de mon mémoire, surtout après avoir été absente du pays pendant quatre ans. Mon travail est resté principalement au sein du cercle de la congrégation. Certes, j'ai mis en lumière une partie méconnue de l’histoire de l’Église, mais je ne prétends pas être la seule à pouvoir parler de Mère Augustine. Avant mes études de "MA Historical Studies", les Sœurs du BPS à Maurice avaient déjà entamé, avec l’aide d’une consultante, une réflexion sur la mission de la congrégation depuis ses débuts, dans le but de réactualiser les charismes de Sœur Augustine. Ces valeurs ont été remises à jour pour être transmises aux collaborateurs qui poursuivent la mission de Mère Augustine avec les Sœurs. Aujourd’hui, les Sœurs, les collaborateurs et les employés de la Congrégation sont bien plus conscients de l’œuvre de la fondatrice et des valeurs qu’elle a léguées. D’ailleurs, le travail d’archivage se poursuit activement.
Qu’est-ce qui a poussé une jeune étudiante en histoire à s’intéresser à la vie d’une religieuse et en faire le sujet de son mémoire ? Qu’est-ce qui vous a fasciné chez cette figure féminine de l’Église ?
J’ai découvert Mère Augustine durant mes études secondaires au Collège BPS, comme toutes les jeunes filles qui fréquentent cet établissement. Cependant, c’est à l’université que mon intérêt pour sa vie et ses actions dans le domaine social s’est vraiment développé. Elle a témoigné d’une attention particulière envers les pauvres, les malades, en créant des crèches, orphelinats, dispensaires, hospices pour personnes âgées, léproserie, écoles, et elle a même surpris l’administration publique en se rendant au chevet des malades du choléra.
En tant que femme, j’admire son dynamisme, sa détermination et son audace dans une société extrêmement patriarcale, y compris dans la sphère ecclésiale. Au cours de mes recherches, j’ai constaté que la figure de Mère Augustine, malgré son immense contribution, n’apparaît que très rarement dans l’historiographie mauricienne. Même les rapports officiels de l’Église de l’époque en font à peine mention, bien qu’elle ait fondé une congrégation en 1850, la seule à avoir vu le jour sur le sol mauricien. L’Église, bien qu’elle reconnaisse leur rôle pionnier dans le domaine caritatif, associait leur contribution à des figures masculines connues. J’ai trouvé cela injuste et j’ai voulu mettre en lumière sa contribution passée sous silence tant du côté de l’administration publique que de l’Eglise.
Comment la préparation de ce mémoire vous a-t-elle marquée personnellement ?
Le leadership de Mère Augustine et sa détermination à mener à bien ses projets m’ont impressionnée. Elle avait des objectifs clairs et précis, et elle a su accomplir de grandes choses avec peu de moyens. Tout en dirigeant une congrégation religieuse, elle s’investissait pleinement dans l’action sociale, répondant concrètement aux besoins de la population. Elle était présente sur plusieurs fronts à la fois, alliant la direction de la communauté, le soin de la vie spirituelle de ses Sœurs et l’aide aux plus démunis.
Le titre de votre mémoire mentionne les "tribulations inconnues" de Mère Augustine; à quoi faites-vous allusion ?
Depuis son enfance, Mère Augustine a traversé de nombreuses épreuves. À l’âge de deux ans, elle a perdu sa mère et ses frères et sœurs sont décédés en bas âge. Cette enfance marquée par la souffrance l’a amenée à vivre tantôt avec sa grand-mère paternelle, tantôt avec son père, sans véritable stabilité. Elle a grandi dans une société où les femmes n’avaient que peu de place, tant dans la société que dans l’Église, et elle a été confrontée à de nombreux obstacles pour faire accepter sa vocation religieuse, même par son père. À 11 ans, elle fait part autour d’elle de son désir de devenir Sœur de Charité, mais ce n’est qu’à 25 ans qu’elle a pu concrétiser cet appel.
Une vingtaine d’années après le début de sa congrégation, les relations sont devenues quelque peu tendues entre Mère Augustine et la hiérarchie de l’Eglise et quelques prêtres au sujet de la gestion de la Congrégation, au point où la fondatrice prend la décision de se rendre à Rome en 1869 pour demander à ce que la congrégation passe sous la tutelle du Pape au lieu de dépendre du bien vouloir de l’évêque. Durant cette période de relations conflictuelles, Mère Augustine et ses Sœurs ont rencontré des difficultés dans leur mission sur le terrain.
La considérez-vous comme une femme féministe pour son époque ?
Pas du tout. Nous étions à l’époque post-esclavagiste, où la société mauricienne était marquée par la pauvreté, les épidémies, et d’autres défis sociaux. Mère Augustine voyait qu’il y avait un travail à accomplir pour soulager cette détresse humaine, et elle l’a fait avec ses Sœurs, sans pour autant adopter un discours féministe. Son seul objectif était de répondre à un appel, c’est-à-dire, servir l’Eglise en étant Sœur de Charité. Elle a agi en ce sens, sans jamais chercher à opposer les hommes et les femmes dans sa mission. En créant sa congrégation, Mère Augustine a ouvert la voie à d’autres femmes désireuses de consacrer leur vie à Dieu. Au tout début, deux femmes l’ont rejointe et petit à petit, d’autres jeunes filles attirées par le charisme et l’œuvre de Mère Augustine ont fait leur entrée dans la congrégation.
Ce patriarcat que vous critiquez dans votre travail existe-t-il encore en 2024 ?
La société a heureusement évolué et la situation des femmes s’est améliorée, y compris dans l’Église où les femmes jouent désormais un rôle plus important dans la prise de décisions. Cependant, malgré une participation plus marquée des laïcs dans la vie de l’Église, beaucoup de choses restent centrées sur les prêtres dans les paroisses, une réalité difficile à nier. Le pape François lui-même critique régulièrement le cléricalisme, qu’il considère comme une perversion de l’Église. Je pense que chaque baptisé, homme ou femme, doit assumer sa place au sein de l’Église pour qu’elle soit plus équilibrée. Et quand on ne prend pas sa responsabilité dans l’Église, on perpétue ce cléricalisme…
Pourquoi, selon vous, l’historiographie catholique a-t-elle occulté la vie de Mère Augustine ?
Cela pourrait être dû à des raisons administratives. À l’époque, les rapports envoyés à Rome se concentraient principalement sur les sacrements, qui étaient exclusivement administrés par les prêtres. Les religieuses, bien que leur travail quotidien ait été remarquable, n’étaient pas mentionnées dans ces communications officielles. De plus, les Sœurs ne cherchaient pas à attirer l’attention sur elles, ce qui a peut-être contribué à ce silence.
Si Mère Augustine vivait aujourd’hui, quelles seraient, selon vous, ses préoccupations sociales ?
Les Sœurs de BPS ont poursuivi le travail caritatif de Mère Augustine, témoignant ainsi que ses préoccupations restent actuelles. Face aux nouveaux défis qui secouent notre monde, je pense que Mère Augustine, toujours sensible à la détresse humaine, discernerait d’abord les besoins d’aujourd’hui avant d’agir et elle interviendrait là où il y aurait un vide.
Vous êtes toujours impliquée dans la vie de Mère Augustine en tant qu’archiviste pour la Congrégation. Si vous deviez réécrire votre mémoire en 2024, quelles nouvelles informations y ajouteriez-vous ?
Après mon expérience de vie communautaire au sein de la Communauté du Chemin Neuf, je suis encore plus admirative du courage de Mère Augustine à fonder une congrégation et de ses qualités à organiser une vie communautaire tout en étant pleinement engagée dans la mission. J’aurais davantage souligné son sens du leadership, qui a permis de faire fonctionner sa congrégation.
J’aurais également abordé la question des deux catégories de Sœurs dans les congrégations féminines de l’époque. En effet, dans un couvent il y avait les « Sœurs Converses » et les « Sœurs Choristes » et cette distinction était basée sur le niveau académique des religieuses. Les ‘Converses’ étaient plus orientées vers les taches matérielles de la vie communautaire tandis que les « Choristes » s’occupaient de l’enseignement des enfants et agissaient aussi comme infirmières. Cette distinction a été abolie après Vatican II. Quant à Mère Augustine, dans sa mission, elle ne faisait pas de distinction entre ses Sœurs, mais on lui a fait comprendre qu’elle ne pouvait sortir de ce cadre imposé par l’Église. Elle a donc été contrainte de suivre ce modèle. Malheureusement cette pratique de catégoriser les sœurs en deux groupes a pris une tournure colorée à Maurice et Mère Augustine a été blessée par des critiques gratuites. Il est bon de souligner que Mère Augustine dans ses œuvres charitables n’excluait personne qui avait besoin d’aide.
Aujourd’hui, il est possible à mon avis, d’aborder dans la sérénité et dans le respect certains sujets dits sensibles. Si j’avais à réécrire ma mémoire en 2024, j’aurais donc mis en lumière cette contrainte à laquelle Mère Augustine a fait face et situer bien le contexte.
Que représente pour vous la célébration du bicentenaire de la naissance de Mère Augustine ?
Mère Augustine est avant tout une Mauricienne qui s’est mise au service de son pays à une époque difficile, et en tant que compatriote, je ne peux rester indifférente à cet événement. En outre, grâce aux recherches que j’ai entreprises dans le cadre de mes études universitaires, je me sens en quelque sorte proche d’elle. Elle a été une patriote dévouée, et a laissé un riche héritage au pays. Cette célébration est l’occasion de relire son histoire et redécouvrir son apport à la société mauricienne.