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Interview - Cardinal Piat : "Quand la démocratie est en danger, les citoyens doivent pouvoir se mettre debout"

À un peu plus d’une semaine avant de donner l’ordination épiscopale à son successeur, Mgr Jean-Michaël Durhône, le dimanche 20 août à Marie-Reine-de-la-Paix, Port-Louis, le cardinal Maurice Piat a accordé la dernière interview de ses 30 ans d’épiscopat au Défi Plus. L’évêque émérite revient sur ce qu’il considère comme des étapes importantes de son mandat. Il parle de ce que devrait être la priorité pour l’Église et le pays. Mgr Piat revient aussi brièvement sur les récentes tensions entre le gouvernement et l’Église, laquelle est, dit-il, une « partenaire critique » de ce dernier. Il évoque aussi l’importance de la lutte antidrogue et l’attention qu’il faut accorder à la jeunesse.

 

 

  1. Vous avez succédé au cardinal Jean Margéot le 15 février 1993. Après avoir porté la responsabilité de chef de l’Eglise catholique à Maurice pendant 30 ans, vous quittez le Diocèse avec quel sentiment ?

 

Je quitte ma responsabilité d’évêque de Port-Louis avec un sentiment de grande reconnaissance. J’ai beaucoup reçu de toutes les personnes avec qui j’ai travaillé, les prêtres, les religieuses, les laïcs dans les services diocésains, dans les paroisses. Bien sûr, je devais donner certaines orientations mais pour la mise en pratique de ces orientations, je voyais se déployer une grande créativité, un élan missionnaire et beaucoup de générosité. Bien sûr qu’il y a eu des problèmes, des choses difficiles à vivre mais ces épreuves ont été largement compensées par la joie de travailler ensemble pour annoncer l’Evangile. J’ai vécu une belle aventure dans ce service de l’Eglise et du pays !

 

  1. Quelle est l’initiative la plus heureuse de votre épiscopat ?

Pendant ces 30 ans, j’ai vécu 2 temps forts dont je garde un grand souvenir : le synode diocésain de 1997 à 2000 et le projet Kleopas qui a pris 3 ans pour être élaboré (2014-2016).

 

Notre synode a été une grande consultation de tous les chrétiens qui désiraient s’exprimer sur ce qu’ils appréciaient dans l’Eglise mais aussi sur ce qui, selon eux, méritait d’être amélioré. Une multitude de petits groupes se sont constitués et ne se sont pas privés de dire ce qu’ils ressentaient. Tout cela a été résumé dans des cahiers et a été discuté dans de grandes assemblées au Lorette de Curepipe. Je garde un grand souvenir de ces débats, quelques fois houleux mais qui étaient aussi témoins d’un grand intérêt pour que l’Eglise cherche à mieux rejoindre les aspirations des Mauriciens pour leur partager le trésor de l’Evangile. C’est là qu’on a pris l’option préférentielle pour les pauvres, c’est là qu’on a encouragé la traduction de la Bible en créole, c’est là qu’on a créé des structures de collaboration et de participation des laïcs et en particulier des jeunes dans la mission de l’Eglise à plusieurs niveaux.

 

Quant au projet Kleopas, il s’agissait encore une fois d’une grande consultation mais sur un point précis : comment concrètement imaginer et organiser la catéchèse, c’est-à-dire, trouver des façons adaptées pour faire naître et grandir la foi en Jésus Christ chez les enfants, les jeunes et les adultes. Pour cela, on a fait appel à la collaboration des parents, des écoles et des paroisses pour travailler de manière cohérente dans un seul but. Cette question de la foi en Jésus-Christ est centrale pour l’Eglise car c’est la foi en Jésus christ qui nous donne une joie de vivre et un dynamisme dans notre vie.

 

  1. Vous avez beaucoup œuvré pour la cohabitation entre les différentes communautés à Maurice. Avons-nous progressé de manière satisfaisante à ce niveau ? Que faudrait-il faire pour progresser davantage ?

 

Pour œuvrer pour une meilleure cohabitation entre les différentes communautés à Maurice, il ne s’agit pas simplement d’organiser des évènements. Il faut surtout changer son regard et accueillir la diversité des cultures, comme un don de Dieu. C’est comme dans un jardin, nous aimons voir une diversité de fleurs, de buissons, d’arbres. Notre créateur nous a gâtés en nous donnant une telle diversité de cultures dans notre pays. Accueillons-la avec reconnaissance au plus profond de nous-mêmes, sans chercher bêtement à savoir qui est le plus grand.

 

On peut faire un pas plus loin : chaque personne humaine, de quelque communauté qu’elle soit, a une dignité ; elle est en enfant de Dieu, elle est notre frère, notre sœur et elle mérite notre respect profond. Chaque personne a ses bons côtés mais chacun porte aussi un fardeau. Nous sommes appelés simplement à apprécier les richesses de chacun et à nous soutenir mutuellement dans les bons et mauvais moments.

 

  1. Quels sont, selon vous, les grands défis qui attendent votre successeur Mgr Jean-Michaël Durhône ?

 

Les défis du pays sont en même temps les défis de l’Eglise car les joies et espoirs des hommes contemporains sont aussi les joies et espoirs des chrétiens. Un des grands défis du pays comme de l’Eglise c’est les jeunes. Rappelez-vous qu’à Marie-Reine-de-la-Paix le pape François nous disait : « Les jeunes sont votre première mission ».

 

25% des jeunes ne réussissent pas leur examen de primaire et de Grade 9, année après année. Dans le pays, le chômage touche 24% des jeunes. Devant cela, les jeunes sont encore plus vulnérables devant la drogue. Le défi est d’assumer notre responsabilité de parents, de citoyens, d’hommes politique, d’hommes d’Eglise pour permettre aux jeunes de se développer humainement et s’armer contre tout ce qui peut détruire leur vie.

 

  1. Régulièrement vous avez adopté des positions fortes sur certains sujets. Le 2 avril dernier, vous aviez dit : « Comment pourrons-nous avoir la paix dans une démocratie lorsqu’il y a un manque de respect pour la séparation des pouvoirs, quand certains se permettent de critiquer les décisions d’un magistrat, d’un DPP ? » Est-ce que, cinq mois plus tard, les choses ont évolué de sorte à ce que cela vous a permis de changer d’opinion ?

 

Dans beaucoup de pays du monde aujourd’hui, même de très grands pays, la démocratie est battue en brèche. Elle subit des pressions parce pour fonctionner, elle fait appel à la responsabilité des citoyens et il faut souvent payer un prix pour être fidèle à cette responsabilité. Quand la démocratie est en danger, les citoyens, qu’ils soient de l’Eglise ou non, doivent pouvoir se mettre debout et dire haut et fort ce qui ne va pas, avec tout le respect dû aux autorités de l’Etat légitimement élues.

 

  1. Vous avez aussi évoqué régulièrement la souffrance que vivent les familles dont un ou des membres ont succombé à la drogue. Sommes-nous en train d’attaquer le problème de la bonne façon ?

 

Il y a quelque temps, les autorités gouvernementales ont reconnu officiellement qu’un toxicomane ne doit pas être traité comme un coupable mais comme un malade. Ceci est, à mon sens, un grand pas en avant. Mais à une condition : c’est que nous puissions tirer toutes les conséquences de ce changement de regard sur les toxicomanes. Par exemple, ne pas punir systématiquement les toxicomanes en les jetant en prison mais les soigner et les réhabiliter. Si on veut être cohérent, on peut même envisager de transformer une partie des prisons en centre de réhabilitation. 

 

Il ne faut pas oublier que la drogue est un commerce très lucratif et le commerce dépend des clients. Donc, il ne suffit pas d’attaquer les commerçants, il faut faire prendre conscience aux clients que ce que leur vendent les trafiquants est un poison mortel.

 

  1. Ces derniers temps, on a vu quelques tensions entre le Diocèse et le gouvernement. Y a-t-il un manque de communication ou une incompréhension entre le gouvernement et vous ?

 

Vous savez, de tout temps, l’Eglise à Maurice a voulu servir la population mauricienne toute entière. Par exemple dans l’éducation primaire et secondaire, plus récemment dans l’éducation technique et pour les enfants porteurs d’un handicap. Nous collaborons aussi dans le service des pauvres, par exemple dans la distribution de denrées alimentaires mais aussi dans l’alphabétisation, la formation humaine pour aider ceux qui se considèrent en marge de la société à reprendre confiance en eux et à trouver leur place dans la société.  Nous collaborons aussi depuis quelque temps dans l’accueil temporaire des demandeurs d’asile et dans la réhabilitation des toxicomanes et des sans abris.

 

Sur ces terrains, nous collaborons avec les autorités compétentes. Nous sommes des partenaires au service de la population. Dans la manière de servir ces personnes, il peut y avoir des différences d’approche et c’est pourquoi on doit parler d’un partenariat critique. Et dans ce partenariat, il n’est pas étonnant qu’il y ait parfois des tensions, des incompréhensions. Mais l’important, l’urgence, c’est qu’on travaille pour le bien commun des Mauriciens.

 

  1. A votre ordination, vous vous étiez prononcé en faveur d'une option préférentielle pour les pauvres. Est-ce que la situation des plus démunis a évolué depuis à Maurice ? Peut-on être positif sur ce dossier ou au contraire doit-on s’inquiéter ?

 

Oui, je crois qu’il y a vraiment un progrès dans l’attention portée aux plus démunis, surtout parce qu’on ne se contente plus de donner un p’tit cash ou des denrées alimentaires à ceux qui n’en ont pas (même si cela est nécessaire dans certains cas), mais aujourd’hui la perspective c’est d’être aux côtés de nos frères et sœurs démunis pour les aider à devenir eux-mêmes les acteurs de leur développement. C’est dans ce sens que militent ceux qui travaillent à la formation, à l’alphabétisation, à l’apprentissage des métiers, comme la pâtisserie, le jardinage etc.

 

D’autre part, il faut reconnaître que le gouvernement a augmenté substantiellement le salaire mimimum, les pensions, a réglementé les conditions de travail et offre beaucoup de services sociaux et facilités financières à ceux qui sont au bas de l’échelle. Cependant, l’accès à ces facilités pose encore problème : beaucoup n’en sont pas informés; et beaucoup d’autres ne savent pas remplir les formulaires nécessaires, faire les démarches online ou en présentiel pour accéder aux services offerts par le gouvernement. Ceci vaut pour le logement, les différentes pensions etc. Il ne suffit pas d’avoir un comptoir et un fonctionnaire derrière un comptoir. Ils ont vraiment besoin d’être accompagnés, ce service est décisif pour beaucoup.

 

  1. La question que beaucoup de gens se posent est qu’allez-vous faire après l’ordination de votre successeur ? Quels seront vos priorités ? Resterez-vous activement dans la vie publique ?

 

J’ai choisi de ne pas choisir tout de suite. Il me faut prendre du temps avant de décider ce que je compte faire. Après 30 ans de vie active et de grandes responsabilités, il est nécessaire de prendre un temps pour relire sa vie et discerner le type de service que je pourrai offrir.

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