En s’inspirant de l’Evangile du jour, dans un premier temps, le cardinal Piat a établi un parallèle entre les brebis sans berger au temps de Jésus et au temps du Père Laval. A l’époque de Jésus, les brebis sans bergers étaient les pauvres et les petits paysans qui étaient
- Ecrasés par les autorités romaines qui réclamaient des taxes très lourdes
- Exploités par les partis révolutionnaires qui les utilisaient pour arriver au pouvoir
- Méprisés par les autorités religieuses juives parce qu’ils ne connaissaient pas les détails de la loi de Moïse et n’arrivaient pas à tout mettre en pratique.
Devant eux, Jésus est saisi de compassion ; il comprend leur souffrance et souffre avec eux ; il entre en dialogue avec eux et les enseigne longuement. Les apôtres sont agacés lorsque Jésus leur demande de donner à manger à cette foule. Ils disent « pas capav », « ça dépasse nos moyens ». Alors Jésus leur dit de les faire asseoir comme des convives et d’entrer en conversation avec eux et de partager le peu de pain qu’ils ont. Alors, la foule est « rassasiée », heureuse pas seulement à cause du pain mais surtout à cause de l’accueil gratuit qui lui a été fait.
Le Cardinal Piat a ensuite expliqué que, à l’époque Père Laval, les esclaves récemment libérés étaient « les brebis sans berger » car ils étaient
- Lâchés dans la plaine, sans travail, sans maison, sans éduction
- Exploités souvent par bourgeois propriétaires
- Rejetés au dernier rang dans l’Eglise, les blancs riches étaient devant, les noirs pauvres derrière
- Leur langue était méprisée
Le père Laval, comme Jésus, est saisi de compassion devant cette foule. Il les écoute longuement, apprend leur langue et prend du temps avec eux. Comme Jésus, lui aussi est critiqué – on lui dit qu’il ne réussira pas, qu’il n’y a rien à faire avec ces pauvres-là. Mais, comme Jésus, il persévère :
- Il les enseigne longuement (à la Cathédrale) tous les soirs
- Il les « empower » pour qu’ils deviennent eux-mêmes des catéchistes
- Il leur apprend à s’entraider – à contribuer à une caisse des pauvres pour partager
- Il leur apprend à « marcher ensemble » dans de petites communautés
- A se réunir dans les quartiers
- A écouter la Parole lue par Catéchètes
- A s’organier pour le soin aux malades, pour l’entraide
Résultat : les anciens esclaves ont retrouvé leur dignité, se sont sentis aimés, reconnus. Ils ont vu qu’ils pouvaient être eux aussi des apôtres. Ils ont vu qu’ils pouvaient apporter une contribution valable à la société.
Après ce constat, l’évêque s’est appesanti sur ceux qui sont des brebis sans berger à Maurice aujourd’hui :
- Les jeunes largués par un système d’éducation qui n’est pas adapté à leurs besoins, à leur culture
- Ces jeunes sont livrés à eux-mêmes, certains habitent dans la rue. Ils sont exploités par les vendeurs de drogue ou par des patrons peu scrupuleux - ils sont exposés à devenir de toxicomanes eux-mêmes – et souvent ils se retrouvent en prison pour plusieurs mois, on remand. Et comme toxicomanes ou anciens prisonniers, ils sont méprisés, montrés du doigt. Leurs parents souffrent beaucoup. Ils sont au chômage ; 24% de chômage parmi les jeunes.
Le Cardinal Piat a ensuite développé les raisons qui sont à l’origine de cela : « Nous avons de la chance d’avoir l’éducation gratuite à Maurice, mais ce système malheureusement laisse sur le bord de la route environ 25% à 30% qui échouent en fin de primaire PSAC. Les mock exams pour le NCE (National Certificate Education) tenus récemment donnent aussi un très mauvais signal.
Il faut reconnaître que le Ministère de l’Education et aussi d’autres institutions comme NSIF, travaillent dur actuellement pour tâcher de corriger cette tendance. Plusieurs projets sont en cours pour soutenir et encourager les plus faibles.
Il faut reconnaître aussi que plusieurs NGO’s regroupés dans ANFEN font un travail remarquable pour les enfants qui quittent l’école avant la fin parce qu’ils sont découragés, n’arrivent pas à suivre.
Au lieu de travailler chacun de son côté, est-ce que ce ne serait pas bien mieux si tout ce monde-là, MoE, NSIF, ANFEN et des profs qui s’engagent personnellement pour trouver de nouvelles pédagogies pour s’adapter aux besoins de ces jeunes, puissent travailler ensemble ? ».
Selon le Cardinal Piat, « l’enjeu est trop grand » :
- Le Pape nous a dit quand il est venu à Maurice : « Qu’il est dur de constater que malgré la croissance économique que votre pays a connue ces derni1eres décennies, ce sont les jeunes qui souffrent le plus, ce sont eux qui ressentent le plus le chômage qui cause non seulement un avenir incertain, mais qui leur enlève aussi la possibilité de se sentir acteurs privilégiés de leur propre histoire commune. Un avenir incertain qui les pousse à l’écart et les oblige à concevoir leur vie en marge de la société, les laissant vulnérables et presque sans repères face aux nouvelles formes d’esclavage de ce XXIe siècle. »
Et il s’est écrié : « Les jeunes sont votre première mission. »
- Le Synode que nous avons vécu d’octobre 2021 à juillet 2022 nous a répété la même chose : la pastorale des jeunes a été identifiée comme une priorité. C’est l’Esprit Saint qui a parlé par le Synode.
- Comme Jésus devant les brebis sans berger de son temps. Comme Père Laval devant les anciens esclaves de son temps, n’ayons pas peur : allons à la rencontre des jeunes, écoutons-les, parlons avec eux, faisons leur confiance, ils ont beaucoup à nous apporter. Partageons avec eux le trésor de l’Evangile de Jésus. Ils ont soifs de découvrir qu’ils sont aimés de Dieu, qu’ils ont de la valeur à ses yeux, qu’ils ont une dignité, un rôle dans la vie.
Comme dit le Pape François : « Nous devons les inviter à trouver leur bonheur en Jésus ; mais pas de manière aseptisée ou de loin, mais en apprenant à leur donner une place, en connaissant leur langage, en écoutant leurs histoires, en vivant à leurs côtés, en leur faisant sentir qu’ils sont bénis de Dieu. Ne nous laissons pas voler le visage jeune de l’Eglise et de la société ; ne laissons pas les marchands de la mort voler les prémices de cette terre ! ».
Le Cardinal a conclu son homélie en invitant à « marcher ensemble, pas à pas, sur le chemin de notre première mission ».