Chers frères et sœurs en Jésus-Christ,
Chers frères et sœurs en humanité,
Monseigneur Pascal Chane-Teng a choisi lui-même les textes de l’Ecriture pour cette eucharistie d’ordination épiscopale. La première lecture, extraite du 1er Livre des Rois, présente Salomon qui devient roi autour de 975 avant Jésus-Christ. Il succède à David. Tous les deux doivent mettre en pratique le code de l’Alliance donné par Dieu à Moïse avec les dix paroles de vie sur les tables de la loi. Au début de son règne, Salomon offre des sacrifices sur les « hauts lieux » où les Cananéens offraient déjà des sacrifices à leurs divinités et pratiquaient certains rites religieux : fertilité, culte des morts, prostitution sacrée.
Le peuple de l’alliance vit dans un syncrétisme – on peut dire dans un zembrocal – religieux qui menace la foi d’Israël. Et voila que à Gabaon, « le plus grand haut lieu » où Salomon va sacrifier aux idoles, Dieu lui apparaît en songe. Dieu lui fait confiance et lui dit : « Demande ce que je dois te donner ». Ce qui veut dire : « Demande-moi ce qui est nécessaire pour gouverner ton peuple et en tant que roi, tu seras considéré comme un intermédiaire entre moi et ton peuple ». Et Salomon alors, touché au plus profond de lui-même, ne conçoit pas son rôle comme un privilège personnel mais comme un ministère en faveur du peuple du Seigneur.
« Demande » dit Dieu… « et je te donnerai ». Inspiré par l’Esprit-Saint et conscient de sa responsabilité, Salomon répond à la confiance de Dieu en lui. Il répond par sa propre confiance en Dieu. Il demande de lui donner : « Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal. Sans cela, comment gouverner ton peuple qui est si important ? »
Notons que Salomon lui-même ne se met pas à part du peuple. Il est à la fois choisi par Dieu. Il dit « Seigneur mon Dieu, c’est toi qui m’as fait roi ! » Et il continue, lui Salomon, à être enraciné dans son peuple pour l’arracher à ses idoles et le conduire à la liberté des enfants de Dieu dans une double alliance : alliance de Dieu avec le peuple et réponse du peuple qui fait alliance avec Dieu. Ensuite Salomon construira le Temple de Jérusalem où un peuple nombreux viendra prier son Seigneur : « Tu es mon berger ô Seigneur, rien ne pourrait manquer où tu me conduis… Je ne crains aucun mal ; avec moi, ton bâton, ta houlette sont là qui me consolent ». (Ps 22)
Et maintenant, actualisons le songe de Salomon en le transposant sur Pascal Chane-Teng déjà ordonné prêtre à la manière des apôtres à la suite de Jésus-Christ : « Ainsi donc, Seigneur mon Dieu, c’est toi qui me feras devenir évêque, moi, ton serviteur, à la place de Gilbert. Or je suis un homme jeune et me voilà au milieu du peuple que tu as élu, un peuple nombreux. » Cher Pascal, tu n’as pas cherché à devenir évêque. C’est le Seigneur lui-même qui t’a appelé. C’est lui qui t’a choisi. Il t’a laissé le temps de comprendre que ton cheminement de jeune homme, de jeune chrétien, de jeune prêtre était de plus en plus orienté vers le don total de ta personne à Jésus-Christ.
Par beaucoup de signes, il ne cessait de te répéter : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne va au Père sans passer par moi. » Je suis le chemin de ta vie avec ma vie en toi et dans les autres, tous les autres. Déjà, en 1997, du grand séminaire de Biarritz où tu faisais ton second cycle, tu m’écrivais : (je cite) « Je comprends combien l’eucharistie réalise la construction du corps du Christ et notre union commune avec Dieu. Evénement d’une profonde identité qui accomplit ce que nous ne pouvons pas faire de nos propres forces. Notamment pour le pardon des péchés et pour la réalisation d’une paix qui semble parfois venir avec difficulté. »
Cher Pascal, à travers tous les ministères que tu as déjà accomplis dans le diocèse, dans nos îles de l’océan Indien, en notre indianocéanie naissante, tu as mûri humainement et spirituellement. Deviens toujours toi-même dans la grâce de ton baptême, avec la conscience de ton histoire, celle de ta famille, ta culture sino-réunionnaise. Sois toujours un Réunionnais franco-chinois, un homme de Jésus-Christ qui ouvre l’horizon de notre île sur les quatre points cardinaux de l’humanité et jusqu’au septième ciel des étoiles. Maintiens la relation avec le pays d’origine de tes ancêtres.
Et ton identité aux diverses appartenances t’aidera à comprendre l’identité des autres composantes de notre peuple réunionnais : Réunionnais d’origine malgache, yab les hauts, caf Mozambique, malbars de l’Inde, zarab du Gujerat, zoreils de l’Hexagone, ancêtres venus aussi de la France, du Portugal, de la Hollande et même d’Angleterre. Pour la part qui nous revient, nous sommes un condensé de la planète.
Nous avons connu l’esclavage et l’engagisme, les saisons de margoze amer. Mais d’être obligés de vivre ensemble, nous avons appris à mieux être ensemble, à mieux vivre ensemble dans une culture métisse qui dialogue avec les grandes cultures du monde. Il n’y a pas de Réunionnais d’origine. L’île était déserte. Nous devenons Réunionnais par communauté de destin, croyants, athées ou agnostiques. Nous avons à bâtir du commun avec notre résilience historique, notre vigilance sur notre communauté de destin. Nous avons à le faire dans notre laïcité française où il y a place pour chacun, pour tous, répartis en divers filons religieux.
Ces filons religieux expriment, de fait, leur visibilité dans une fraternité républicaine parce que tous, en tant qu’êtres humains et spirituels, nous sommes attachés à la chose publique. La religion n’est pas qu’une affaire de choix privé. Elle a sa place sur la place publique. Des monuments religieux font partie de notre patrimoine culturel inscrit à l’Unesco. Le Groupe de Dialogue Interreligieux (GDIR) a une mission prophétique et d’avant-garde en ce sens.
Pascal, cher Pascal, voilà ton peuple pour lequel le pape François t’a nommé évêque. Aime ton peuple jusqu’à donner ta vie pour lui, jusqu’à verser ton sang si nécessaire, pour aller jusqu’au bout de l’amour. Alors, si tu creuses profond pour toi-même et pour ton peuple, si tu vois large et avec générosité, ton clergé, les consacrés et ton peuple t’accueilleront et te considèreront comme « un père à aimer, un maître à écouter et un gardien à respecter » (pape François). Je pense à une phrase de saint Augustin qui disait à ses diocésains : « Avec vous je suis chrétien, pour vous je suis évêque ».
Comme Salomon, tu seras au milieu de ton peuple mais aujourd’hui pour accomplir ta mission d’évêque. Quelle est la mission d’un évêque ? C’est de s’engager librement à maintenir la foi reçue des apôtres et à s’acquitter des devoirs de sa charge : conduire par la parole et l’exemple le peuple qui lui est confié, le rassembler, le sanctifier. Veiller à l’unité, à la catholicité de l’Église dans le collège apostolique, en communion effective et affective avec le pape, évêque de Rome et successeur de Pier
Cher Pascal, tu connaîtras la solitude de la charge. Comme dit saint Paul à Timothée (cf. 1, 6-14), tu prendras ta part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile. Mais avec « paix et force dans l’Esprit-Saint » tu pourras compter sur la fraternité épiscopale de tes confrères de la Conférence des Évêques d’Océan Indien : Alain aux Seychelles, Jean-Michaël à Maurice, Charles aux Comores, Luc René à Rodrigues, Fabien à Morondava et président de la Conférence des Evêques de Madagascar. Et comment ne pas souligner la présence de Monseigneur Eric de Moulins-Beaufort, Président de la CEF (Conférence des Evêques de France) où tu seras accueilli pour la première fois lors de la prochaine assemblée plénière du 3 au 8 novembre.
Je ne saurais oublier Son Excellence Monseigneur le Nonce Apostolique Tomasz Grysa, Nonce apostolique résidant à Antananarivo, Délégué apostolique pour La Réunion et qui porte une attention soutenue à notre diocèse. Son Éminence le Cardinal Maurice Piat, Monseigneur Denis Wiehe des Seychelles et moi-même, tous trois évêques émérites, nous serons à ta disposition pour toute question relevant de l’historique de notre conférence ou pour un problème particulier.
Cette évocation de la présence active de la Conférence Épiscopale d’Océan Indien dans la zone Sud-ouest de l’océan Indien montre bien que chaque évêque dans son diocèse et tous les évêques ensemble en conférence entendent vivre leur mission d’Église comme « une mission qui inscrit l’Évangile et l’Église dans l’espace public, politique et social. » La formule est de Monseigneur Claude Dagens, évêque émérite et membre de l’Académie Française. Il écrit : « La mission de l’évêque est une mission qui inscrit l’Évangile et l’Église dans l’espace public, politique et social. L’évêque a ainsi la responsabilité personnelle, tout en étant lié aux organismes de l’Église, chargés de l’éducation de la foi ou de la solidarité, de faire entendre des questions et les préoccupations qui concernent l’ensemble de notre société : car souvent, il me semble que nous savons ce que nous ne voulons pas pour notre société, en particulier la violence, les inégalités, la corruption et les mensonges. Mais nous savons mal ou trop peu ce que nous voulons : à quel prix les êtres humains doivent-ils être traités comme des êtres humains, chacun avec son caractère unique et sa dignité, qu’il s’agisse de l’embryon dans le ventre de sa mère, de la personne en fin de vie ou des travailleurs que l’on manipule comme des pions sur un échiquier ? Ces questions ont une portée sociale, mais elles font partie du travail d’évangélisation. Pourquoi ? Parce que l’évangélisation touche à la vérité de Dieu révélée dans la personne de Jésus, et cette vérité de Dieu est inséparable de la vérité de l’homme révélée aussi dans le Christ Sauveur. » (Session dans le diocèse de Dax, 12 mars 2002).
Et maintenant, en ce temps de violences en tous genres, de conflits et de guerres, en ce temps aussi d’espérances inespérées, je lance un appel aux jeunes, plus spécialement à nos 175 jeunes qui sont partis aux JMJ, à ceux et celles qui sont engagés dans des groupes paroissiaux, à ceux et celles qui se retrouvent dans nos établissements scolaires et à l’Université catholique, à ceux et celles qui nous suivent sur les réseaux sociaux, à la radio ou à la télévision.
Je sais combien vous êtes sensibles à la réussite de la vie dans la paix. Votre cœur est sans frontières et vous voulez aimer. Vous voulez tout donner de vous-mêmes pour aimer et être aimés. Vous avez bien raison car sans amour, la vie n’atteint pas son but. Mais attention aux caricatures de l’amour ! Bâtissez votre vie sur l’amour vrai. Laissez Jésus-Christ vous prendre la main. Il ne vous lâchera pas car il veut aller avec vous jusqu’au bout de l’amour. Cherchez votre vocation : vocation au mariage chrétien, vocation religieuse ou vocation sacerdotale.
Apprenez à vous respecter, à vous soutenir pour bâtir un monde où vous ferez triompher les valeurs de louange de Dieu et de service des hommes, valeurs de tendresse et de partage, de justice et de paix, de solidarité et de responsabilité. N’ayez pas peur des sacrifices pour vous perfectionner de jour sen jour et faire fructifier vos talents. Le chemin de la perfection, le chemin de l’effort, c’est aussi le chemin de la joie. Bonne chance pour aujourd’hui et pour demain ! L’Église et le monde comptent sur vous : devenez les champions de votre avenir solidaire, de l’avenir de l’Église, de La Réunion et du monde.
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Vous tous qui êtes là, vous tous qui êtes à l’écoute, nous tous, ravivés par l’ordination épiscopale de Monseigneur Pascal Chane-Teng, gardons-nous bien d’oublier le message que nous a laissé le pape Jean-Paul II le 2 mai 1989, il y a trente-quatre ans, à La Réunion : « Resse pas dan’ fénoir, viens dans la lumière. Mette par côté çaq l’a pas bon et marche droite avec zot conscience droite. Soleil y lève, soleil i dort, la lune i lève, la lune y dort ; zot même la lumière y éteinde pas ! »
Le 15 octobre 2023
Monseigneur Gilbert Aubry
Évêque émérite
Administrateur apostolique
du diocèse de Saint-Denis de La Réunion