Un texte juridique fondateur
Le Code Noir, élaboré par J.B.Colbert, est le titre donné à l’Édit royal promulgué en mars 1685 par Louis XIV destiné aux îles d’Amérique. Il vise à donner un cadre juridique au système esclavagiste dans les colonies. Il sera amendé et publié en lettre patente concernant les « esclaves nègres » des Isles de France et de Bourbon. Le Code Noir légifère sur le traitement ignoble des « nègres esclaves » dans les colonies. Il constitue le texte fondateur de Maurice étant la première pièce juridique qui pose le socle des rapports sociaux entre Mauriciens à l’origine de son peuplement.
Une réglementation juridique du système esclavagiste
Le Code Noir pour l’Isle de France et Bourbon comporte 54 articles que l’on peut regrouper en cinq parties. La première partie (Art 1-10) établit le catholicisme comme religion unique dans laquelle les esclaves seront instruits et baptisés. Elle prescrit l’interdiction des sujets blancs de contracter mariage ou de vivre en concubinage avec les noirs sous peine de punition et d’amende. Il préconise l’inhumation des noirs baptisés dans un cimetière. La deuxième partie (11-20) règlemente le quotidien des esclaves : ses allées et venues, sa nourriture et son habillement. La troisième partie (21-38) est le cœur du dispositif légal : elle définit le statut juridique « sous-humain » de l’esclave en déclarant son incapacité légale à la propriété ainsi que tout recourt à la justice.
Toutefois, l’esclave a une responsabilité pénale en cas de délit d’agression à l’encontre d’un maître tout comme le délit de fuite et de recel. La quatrième partie (39-48) définit le statut civil de l’esclave en tant que « bien meuble ». L’esclave est une marchandise. Il est une res, une chose, un être réifié, chosifié. Son propriétaire peut en disposer tel un mobilier ou une bête de somme. La dernière partie (49-54) stipule les conditions d’affranchissement de l’esclave par son maître ainsi que le nouveau statut civil de l’affranchi, ses capacités et ses obligations.
Un texte porteur de violence originelle
Bien que voulant règlementer le système esclavagiste laissé au bon vouloir sans limite des maîtres, le Code Noir s’avère être un appareil juridique qui se distingue par son extrême violence faite à l’esclave dans sa chair sous mode de punition, sanction, châtiment, mutilation, exécution par le fouet et le fer. Mais plus encore, c’est dans son âme que le noir déraciné de sa terre natale est le plus meurtri. La négation de son humanité, l’affirmation de son infériorité pour le mener à la détestation de lui-même, l’endossement forcé d’une religion, d’une langue, d’une culture, la dépossession de sa progéniture participe à l’effacement de son identité culturelle et spirituelle en vue de supposément le civiliser. Cependant, l’esclavé saura résister et faire preuve de résilience en créant une nouvelle culture : la créolité porteuse d’une nouvelle vision qui se reflète dans la langue créole. Cela ne se fait pas sans séquelles sur ses descendants.
Un texte monstrueux
Suivant les termes de Louis Sala-Molins, le Code Noir est un texte monstrueux à plusieurs titres puisqu’il établit de fait la distinction dès la naissance entre des humains à partir de la couleur de la peau, du degré de pigmentation alors que dans leurs veines coule le même sang des mêmes organes. Il porte son nom sur la peau du livre de droit et de l’humain asservi.
Il accorde au « maître blanc » le droit de vie et de mort sur le « nègre esclave » ainsi que le droit de propriété sur l’esclave et ses enfants. Il « sous-humanise » le noir et institue le racisme anti-africain.
Hier, aujourd’hui et demain : le même prix à payer
Le statut et le sort de l’esclavé d’hier, gravés dans le Code Noir de l’Isle de France et de Bourbon, fait qu’il a dû payer un lourd tribut pour le développement de Maurice dès le début de son peuplement. En effet, les récentes études sur la traite française dans les Mascareignes recensent autour de 80 000 capturés, enferrés, transportés à fond de cale, mis en esclavage à Maurice— avec une espérance de vie ne dépassant pas dix ans —, à payer le prix de leur vie avec tout le poids du mépris pour bâtir Maurice et la faire devenir l’étoile et la clé de l’océan Indien.
Aujourd’hui, au regard de la déclaration universelle des droits humains, les descendants d’esclavés portent les séquelles de l’esclavage gravé dans le Code Noir ; bien que la lettre diffère, l’esprit perdure. Ils continuent à payer le prix cher du racisme mué en communalisme, l’exclusion, la discrimination, la péjoration issues des préjugés (kreol pares – kreol nek amize – kreol gran nwar…), la marginalisation sociale dans les cités et les ghettos. Mais, face à la stigmatisation, ils continuent à faire preuve de résistance, de résilience et d’affirmation identitaire pour effacer l’abominable stigmates que le Code Noir a imprimée dans leur chair et leur âme. Et qu’en est-il de l’avenir des descendants d’esclaves ? À quand un mécanisme de rattrapage au départ ou de réparation réelle pour lui permettre de forger, par lui-même, son avenir ? Ou devra-t-il continuer à payer le prix fort demain et après-demain ?
Alain Romaine — 23 janvier 2023
Art. 1er. Tous les esclaves qui seront dans les îles de Bourbon, de France et autres établissements voisins, seront instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine ; ordonnons aux habitants qui achèteront des nègres nouvellement arrivés, de les faire instruire et baptiser dans le temps convenable, à peine d’amende arbitraire
Art. 5. Défendons à nos sujets blancs de l’un et l’autre sexe de contracter mariage avec les noirs à peine de punition et d’amende arbitraire et à tous les curés, prêtres ou missionnaires séculiers ou réguliers et même aux aumôniers des vaisseaux, de les marier ; défendons aussi à nos dits sujets blancs, même aux noirs affranchis ou nés libres de vivre en concubinage avec les esclaves (…)
Art. 8. Les enfants qui naîtront des mariages entre les esclaves, seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves et non à ceux de leurs maris, si les maris et les femmes ont des maîtres différents.
Art. 24 Ne pourront aussi les esclaves être partie ni ester en jugement en matière civile tant en demandant qu’en défendant, ni être parties civiles en matières criminelles sauf à leurs maîtres d’agir et défendre en matière civile et de poursuivre en matière criminelle la réparation des outrages et excès qui auront été commis contre leurs esclaves.
Art. 26. L’esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse, le mari de sa maîtresse ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort.
Art. 31. L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l’aura dénoncé à justice aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule et s’il récidive pendant un autre mois à compter pareillement du jour de la dénonciation il aura le jarret coupé et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule et la troisième fois il sera puni de mort.
Art. 39. Voulons que les esclaves soient réputés meubles et comme tels qu’ils entrent dans la communauté, qu’il n’y ait point de suite par hypothèque sur eux, qu’ils se partagent également entre les co-héritiers sans préciput et droit d’aînesse (…) ny au retranchement des quatre quints en cas de dispositions à cause de morts ou testamentaires.
Source :
L’OBS (hors-série) no. 107, Esclavage — une histoire française, 2022
TAUBIRA, Christianne & CASTALDO, André, Codes Noirs, de l’esclavage aux abolitions, Dalloz, 2006
NAGAPEN, Amédée, Le Marronage à l’Isle de France — Ile Maurice, Rêve ou riposte de l’Esclave, Centre Culturel Africain, Nelson Mandela, 1999.
SALA-MALINS, Louis, Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, PUF. 1987
Texte intégral du Code Noir : http://www.pierre-poivre.fr/doc-23-12-mois.pdf