Interview - Père Goupille, ancien lauréat : « J’encourage les jeunes à suivre leur vocation »

Nous reproduisons ci-dessous une interview du P. Philippe Goupille parue dans Le Mauricien du jeudi 15 février 2024.

  • Les derniers résultats du HSC nous laissent réfléchir sur ces jeunes élites de notre société qui sont acclamés pour leur prouesse intellectuelle et qui sont destinés à de brillantes carrières professionnelles. Quel regard y posez-vous plusieurs années après avoir été ovationné comme les jeunes prodiges de votre pays ?

 

Je sois dire qu’à mon époque (j’ai été lauréat en 1960) il n’y avait pas autant de manifestations bruyantes après la proclamation des résultats. C’est vrai qu’à l’époque il n’y avait que 4 lauréats pour les garçons, deux dans la filière classique et deux dans la filière sciences, et autant pour les filles. Donc cela touchait moins de jeunes et moins de familles.

 

Cette proclamation n’avait pas autant de résonnance médiatique. Aujourd’hui les lauréats sont fêtés comme des héros. C’est un peu dans l’air du temps.

 

Les medias célèbrent aussi les héros dans le  sport,  le  cinéma. Ils sont couverts de gloire. Notre monde a sans doute besoin de modèles, d’icônes pour sortir de la désespérance causée dans notre monde par les guerres, les violences, les injustices, le mensonge, l’hypocrisie.  Mais il ne faudrait pas que tout cela nous monte trop à la tête. Car nous devons tous, lauréats ou pas,  retourner à nos engagements dans la vie de tous les jours, affronter les hauts et les bas de notre vie humaine. L’euphorie ne sera pas tous les jours au rendez-vous. Et surtout nous portons la responsabilité de ne pas décevoir, et de rester témoins de l’espérance d’un monde meilleur  pour les jeunes.

 

  • Comment avez-vous vécu toute cette pluie de félicitations après avoir été lauréat ? Combien de temps a duré l’euphorie ? L’étiquette de lauréat vous suit encore aujourd’hui, est-ce un ‘passeport VIP’ ?

 

Dans mon cas ce fut un peu spécial. Le lendemain de la proclamation des résultats nous avons eu le cyclone Carol. Donc, l’euphorie n’a pas duré longtemps.

 

Nous nous sommes retrouvés face à la souffrance des personnes qui avaient tout perdu. Nous sommes passes de l’euphorie à la solidarité, à œuvrer à  la base avec tous nos compatriotes pour faire face au désastre et assurer l’indispensable ; dormir, se loger, manger  En fait je suis descendu du podium pour me retrouver dans l’angoisse et la souffrance partagées. Je pense que cela m’a marqué en me faisant comprendre que l’on doit souvent passer de l’euphorie d’un moment à la réalité du quotidien et de l’imprévu.

 

Mais vous avez raison de dire que le fait d’être lauréat nous donne une certaine « aura » qui nous suit pendant notre vie. Je pense surtout que le succès nous donne confiance en nous-mêmes et nous prépare à relever d’autres défis.

 

  • Diriez-vous que le fait d’avoir été lauréat a déterminé votre carrière ? Si vous n’étiez pas lauréat, vous ne seriez pas ce que vous êtes aujourd’hui en termes de choix de carrière et en termes de personne que vous êtes ?

 

Déjà avant les résultats, je pensais que j’étais appelé à la vocation de prêtre catholique. Je dois avouer que ce ne fut pas une décision facile de continuer mon cheminement vers le sacerdoce. Beaucoup de personnes autour de moi me disaient que c’était un « gaspillage » et qu’il me fallait envisager un autre choix de vie. En fait, c’était une réaction normale car, dans la manière de voir de beaucoup, être lauréat voulait dire être un grand médecin ou un grand avocat, un grand homme d’affaires, bien gagner sa vie, faire une belle carrière  et être reconnu dans la société. Etre prêtre c’était accepter une condition de vie plus humble, avec moins de gloire humaine. Moins de panache. Mais je dois dire que mes parents m’ont laissé totalement libre de faire mon choix et je leur en suis toujours reconnaissant.

 

En fait j’ai pu faire des études universitaires et ensuite devenir prêtre. Je salue aussi les conseillers qui m’ont aidé à discerner mon avenir spécialement  le Recteur, à l’époque,  du Collège du Saint Esprit. J’affirme avec beaucoup de lauréats d’aujourd’hui, entendus dans les medias, que notre famille et nos éducateurs ont un grand rôle à jouer pour nous aider à réussir notre vie. J’ajoute que je ne regrette pas mon choix. Le fait d’être prêtre au service du diocèse de Port Louis m’a ouvert des horizons très vastes et m’a permis de sortir de mon milieu pour mieux vibrer avec le cœur de toutes les communautés qui constituent l’arc en ciel mauricien.

 

J’encourage les jeunes à suivre leur vocation ; choisir un métier de prestige que nous n’aimons pas ne nous emmènera pas nécessairement au bonheur ou a une vie réussie !

 

  • En quoi être lauréat peut être avantageux et en quoi cela peut-il être désavantageux (pression etc.) ?

Je crois que pour être lauréat, il faut beaucoup de discipline personnelle. Il faut apprendre à sacrifier beaucoup d’activités qui attirent les jeunes pour consacrer du temps au travail.

 

Mais je pense qu’il est nécessaire aussi de garder un équilibre, de faire du sport et de prendre le temps de soigner ses relations humaines.

 

Dans ma dernière année au Collège, j’étais Président du « Students’ Council » et cela me prenait pas mal de temps. Mais je pense, avec le recul, que cet engagement m’a permis aussi de relativiser la « course à la bourse » pour prendre du temps à écouter les problèmes des autres élèves du Collège.

 

  • Qu’auriez-vous à dire à tous ceux qui n’ont pas été lauréats mais qui ne déméritent pas pour autant ?

 

Je leur dirai volontiers que ce n’est pas la fin du monde pour eux. Ils ont les talents pour servir la société et les efforts qu’ils ont faits sont loin d’être perdus.

 

Je profite pour saluer une décision du Ministère de l’Education d’accorder des bourses d’études aux élèves souffrant de handicap et aussi à ceux qui viennent de milieux défavorisés et qui n’ont pas parfois le soutien nécessaire pour devenir lauréats. Il est bon d’encourager nos élites mais il nous faut donner une chance à tous, spécialement aux plus pauvres, pour bâtir avec eux une société plus harmonieuse et plus juste.

 

Sans vouloir diminuer le moindrement le mérite et l’effort des lauréats, on devrait pratiquer pour les bourses d’études un genre de discrimination positive et donner ainsi un coup de pouce aux segments défavorisés de notre République.  On pourrait cibler les quartiers à risque et les étudiants méritants dont les familles sont sur le registre de la sécurité sociale En regardant en arrière la vie m’a montré que ce ne sont pas forcément les premiers de la classe qui ont mieux réussi leur vie. Certains se sont développés plus tardivement et ont très bien réussi.

 

  • Être lauréat, est-ce le passeport assuré pour une vie réussie ? Que faut-il encore pour mener une vie heureuse ?

 

Ce n’est pas forcément un passeport pour une vie réussie. Ce n’est que le commencement de notre vie d’adulte et il faudra continuer le chemin avec la même discipline, le sacrifice de soi et l’attachement aux valeurs fondamentales qui nous été transmises par nos éducateurs et nos parents. Il ne faut pas non plus oublier la dimension spirituelle de notre vie. Si nous sommes croyants, chercher à approfondir notre foi. Si non, suivre notre conscience éclairée par des valeurs morales sans lesquelles nous risquons d’aller à la dérive. Je pense que pour être heureux il faut avoir un principe de vie ; celui qui m’a guidé, c’est que notre vie ne consiste pas à s’occuper de soi tout seul mais à se préoccuper aussi des autres.

 

La clef du vrai bonheur ne se trouve pas dans ce que je réussis à amasser pour moi-même : argent, pouvoir et gloire mais plutôt à me mettre au service des autres. Les aider à s’épanouir, a grandir, a trouver leur propre bonheur. Nous avons les exemples de Mère Teresa de Calcutta, de Martin Luther King et de bien d’autres encore. C’est souvent  dans le sourire et la joie de ceux et celles que nous avons aidé à se remettre debout que nous trouvons nos plus grands moments de bonheur !

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